Tour des Vosges à vélo
Le projet - Lundi 20 juin 2022
Ce tour des Vosges à vélo occupe mon esprit et un dossier de mon ordinateur depuis plus de deux ans. J’avais prévu de le réaliser en septembre 2020, mais certaines circonstances sanitaires obscures m’en ont empêché. En 2021, j’avais préféré me lancer dans un périple plus simple à organiser, en une période encore incertaine, entre Paris et La Flèche. Je pense, avec l’accord bienveillant de Marie-Claude, que ce projet est désormais réalisable.
Évidemment, en tant que simple cyclotouriste d’un âge avancé, il ne s’agit pas de me lancer à l’assaut du massif vosgien, mais bien d’en faire le tour ! Au sud, je longerai le canal du Rhône au Rhin et le Doubs ; à l’ouest, ce sera la Saône, le canal des Vosges et la Moselle ; au nord, le canal de la Marne au Rhin ; et à l’est, j’emprunterai la vélo-route des Vins, ce qui devrait constituer la seule partie vallonnée de la boucle.
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Le projet (avec deux raccourcis possibles) |
Comme pour mes précédentes aventures, je me suis livré à deux activités préparatoires très chronophages : le chargement sur ma tablette des traces des voies vertes et véloroutes que j’aurai à emprunter, et la recherche des hébergements possibles le long ou à proximité du parcours en privilégiant toujours les chambres d’hôtes, avec table d’hôtes si possible, et les petits hôtels-restaurants. J’ai aussi recueilli sur différents sites ou blogs des informations précieuses et variées sur certaines parties de cette boucle qui, curieusement, semble n’avoir été parcourue dans son intégralité par aucun cycliste.
Selon mes estimations, ce tour des Vosges représente environ 900 kilomètres. À raison de 60 kilomètres par jours en moyenne, j’ai prévu 15 étapes pour la parcourir sans tricher, c’est à dire avec un vélo musculaire comme on dit maintenant pour faire la distinction avec les assistés électriques. Est-ce bien raisonnable ? Je ne sais trop car ma condition physique n’est pas au top et mes problèmes de dos et de genoux sont toujours là.
Autre sujet d’inquiétude : la météo. Aurai-je à affronter quelques épisodes orageux et/ou périodes de canicule ? Et les hébergements, pour lesquels je n’ai effectué aucune réservation préalable, seront-ils tous complets ? La dernière interrogation concerne mon voyage de La Réunion jusqu’à Eguisheim, village proche de Colmar où je dois prendre demain après-midi possession de mon vélo : tout se passera-t-il sans anicroche dans la succession
programmée des moyens de transport entre avion, OrlyVal, RER, métro, TGV, TER et taxi ?
Mais foin de tous ces doutes préliminaires ! Je pars ce soir, certes avec un pincement au cœur car Marie-Claude et ma famille d’ici vont me manquer, mais aussi avec enthousiasme pour vivre ce projet longuement mûri. Mes derniers préparatifs ont été, eux, rapidement menés car j’ai l’habitude de sélectionner les quelques affaires à emporter, puis de les conditionner dans plusieurs petits sacs qui n’auront plus qu’à passer de l’unique bagage de cabine de l’avion aux deux sacoches du vélo.
L’aventure peut commencer...
D’Eguisheim à Soultzmatt - 18 km
La nuit dans l’avion fut encore une fois assez pénible : douleurs lombaires, très peu de sommeil, films et repas moyens. Heureusement, la marche entre le terminal 3 et la station d’OrlyVal, et ensuite entre la Gare du Nord et la Gare de l’Est, me remet d’aplomb. J’observe quelques changements par rapport à ma lointaine jeunesse estudiantine : les gens accrochés à leur smartphone dans les transports, les voies réservées aux vélos dans Paris et bien utilisées, les gares transformées en centres commerciaux.
À la Gare de l’Est, c’est une grosse pagaille occasionnée par des retards de plusieurs trains. Mais le mien est à l’heure. C’est un TGV labellisé Inoui, en réalité plutôt vétuste. Il est cependant agréable de voir défiler les paysages, bien assis dans un siège confortable. Rien à voir avec l’avion ! Une fois de plus, malgré un temps gris, je trouve la France très verte entre champs, prairies et forêts, du moins jusqu’à apercevoir la ligne bleue des Vosges qui n’est donc pas un fantasme contrairement à certains rayons verts.
À la sortie de la gare de Colmar, je dois patienter plus de 30 minutes en attente d’un taxi pour me conduire jusqu’à Eiguisheim. Je prends le temps de visiter à pied ce village, un parmi les préférés des Français, ce qui est bien justifié : magnifiques ces rues étroites bordées de maisons à colombages ! Et on y trouve aussi bien sûr quelques restaurants attirants. L’un d’eux m’accueillera pour mon premier repas alsacien : tarte flambée au Munster et tarte aux myrtilles.
A Eguisheim |
À 14h15 précises, je suis comme convenu devant la boutique d’Alsace Cyclo Tour pour prendre possession de mon vélo. Il faudra un certain temps pour l’adapter à mes mesures, compléter son équipement, pour transférer tous mes sachets dans les sacoches et pour me changer discrètement dans un recoin. Finalement, le pédalage ne débutera que vers 15h, au moment précis où le ciel se dégage et où la température monte en flèche.
Heureusement, mon étape sera courte, moins de 20 kilomètres. Et ce sera un régal, à la limite entre la plaine d’Alsace et les premiers contreforts des Vosges, un parcours juste un peu vallonné entre champs et vignobles. Le vélo me convient : il est un peu lourd, mais semble robuste et en bon état.
Le vignoble au pied des Vosges |
Je suis ce soir à Soultzmatt dans une situation assez particulière, dans un hôtel fermé et vide (ni clients, ni personnels) ! Le patron m’a expliqué au téléphone comment entrer par la cour, caser mon vélo dans une remise et accéder à une chambre. Le restaurant étant aussi fermé, je pensais devoir m’acheter un repas froid dans une supérette, mais me voilà sauvé par la fête de la musique qui va battre son plein sur la place du village. Les saucisses sont sur le feu et la bière va couler à flots. Une folle soirée m’attend.
La trace du jour |
Étape 2 - Mercredi 22 juin 2022
De Soultzmatt à Gommersdorf - 65 km
Hier soir, de grandes tablées familiales sont installées sur la place du village. Je trouve place en bout de l’une d’elles, avec en main comme tout le monde un gobelet de bière printanière, pas très forte et agréablement fruitée. Ce sont d’abord les enfants de l’école qui nous livrent leur spectacle de fin d’année. Chaque maîtresse fait de son mieux pour diriger son petit groupe de chants et les productions sont dans l’ensemble plutôt réussies. Les parents, pas encore trop éméchés, sont attentifs et photographient leurs progénitures.
Les choses s’animeront par la suite avec un orchestre local et la prestation d’une certaine Chantal, cantatrice du village, dont la voix est couverte par le brouhaha ambiant. Je me paye deux merguez à la moutarde enchâssées dans un morceau de pain et une deuxième bière printanière. Et, pour terminer et faciliter la digestion, un sorbet citron. Je quitte la fête avant que des abus ne soient commis et, à 20h30, je suis au lit pour une nuit réparatrice dont j’avais le plus grand besoin.
Ce matin, départ avant 7h, sans petit-déjeuner. Le ciel est gris et le restera toute la journée, ce qui est bien dommage pour les photos, d’autant que je vais traverser aujourd’hui de magnifiques paysages que le soleil aurait sublimés. Mon parcours va se révéler très varié, entre la fin de la Véloroute du Vignoble d’Alsace et un itinéraire à travers la campagne ensuite.
Entre Soultzmatt et Orschwihr, je m’élève (un peu difficilement) dans les vignes et profite de belles vues sur les villages et les coteaux. Plus loin, les parties dans la plaine sont agréables aussi. On trouve quelques prairies à vaches ou à chevaux, mais surtout des champs de céréales, de blé et de maïs. Dans les parcelles déjà fauchées, on aperçoit de loin quelques cigognes, solitaires ou en couple. Mes tentatives d’approche échouent et je me refuse à photographier les corbeaux beaucoup plus coopératifs.
Dans la descente vers Orschwihr |
Après avoir traversé une zone urbanisée moins réjouissante autour de Soultz-Haut-Rhin, je m’arrête enfin dans le petit village de Hartmannswiller. Le seul commerce est une boulangerie, artisanale et bio, qui offre peu de choix. Ce sera pour moi un croissant et un café. Le patron m’indique qu’il tient sa boutique ouverte par obligation envers la mairie, qui lui loue le local, mais que ce sont les marchés qui lui rapportent avec la vente de ses produits bios, pains, miel et jus de fruits.
Je m’écarte parfois du tracé de la véloroute, pas toujours volontairement. Je fais notamment des écarts pour jeter un œil au centre des villages où l’on peut voir quelques jolies maisons anciennes et aussi l’inévitable église surdimensionnée. Celle de Cernay est carrément gigantesque. À la périphérie, se sont construites de belles villas dont les fenêtres et les jardins sont abondamment fleuris.
L'église de Cernay |
Après l’abandon de la véloroute, je m’invente un parcours libre en empruntant de petites routes, des pistes forestières, des chemins à travers champs. Je musarde un peu en faisant presque tout le tour du lac de Michelbach, lac artificiel qui contribue à l’alimentation en eau de la ville de Mulhouse. Les abords sont très paisibles, souvent en forêt, avec des trouées ouvrant une vue sur le lac et, au delà, le massif vosgien. Le Grand Ballon est malheureusement aujourd’hui noyé dans une épaisse grisaille.
C’est là que je fais sur un banc ma pause-déjeuner en dégustant un maigre sandwich acheté à Cernay. Heureusement, un peu plus loin, à la boulangerie de Guewenheim, une tarte au citron meringuée améliorera ma tardive pause-café. Mon itinéraire se poursuit, en alternant campagnes et belles forêts de feuillus. Je fais un dernier détour pour aller voir un lavoir du XIXème siècle, bien restauré, à Balschwiller.
Le lavoir de Balschwiller |
Je suis ce soir à l’Auberge du Tisserand à Gommersdorf, village réputé pour ses belles maisons alsaciennes. Alors que je termine cet article, la pluie se met à tomber et le tonnerre gronde. Heureusement, je n’aurai pas à ressortir, ayant réservé mon dîner à l’auberge.
La trace du jour |
Étape 3 - Jeudi 23 juin 2022
De Gommersdorf à Geney - 71 km
Cette Auberge du Tisserand est des plus recommandable. La bâtisse, une vieille maison alsacienne rénovée, dégage une atmosphère reposante. Et les spécialités proposées à la carte sont alléchantes. J’ai choisi hier soir le jarret braisé au Munster et m’en suis régalé jusqu’à l’os. Une coupe Colonel facilitera ma digestion avant un bon dodo.
Ce matin, même stratégie que la veille : lever à la sonnerie du smartphone à 6h pour un départ avant 7h, sans attendre le petit-déjeuner qui ne pouvait être servi qu’à partir de 8h. Grand changement, le soleil est de retour. Mais des orages sont annoncés pour l’après- midi...
Je rejoins rapidement l’Eurovélo 6 (EV 6) qui, dans son intégralité, relie l’Atlantique à la Mer Noire et que je vais suivre pendant 3 jours en longeant le Canal du Rhône au Rhin, puis le Doubs, jusqu’à Dole. Je retrouve immédiatement avec plaisir les attraits de ce type de parcours : les écluses et leurs (anciennes) maisons éclusières, les berges fleuries, les reflets dans l’eau, les poules d’eau, les canards et les cygnes.
Après le port de Dannemarie, les écluses, qui sont automatisées, se font de plus en plus rapprochées en remontant vers le bief de partage. En longeant ce dernier, on franchit insensiblement une ligne de partage des eaux. Et je reste à nouveau incrédule devant le fait que les eaux de ce bief pourront rejoindre soit la Méditerranée, soit la Mer du Nord.
Je fais bien sûr quelques écarts vers les villages. À Montreux-Vieux, comme je pouvais m’y attendre d’après le nom du village, je ne trouverai qu’une pharmacie accolée à une maison de santé ! À Montreux-Château en revanche, on trouve plusieurs commerces dont une boulangerie où je pourrai prendre mon petit-déjeuner sur l’unique table dans la boutique : une tresse au chocolat et un café allongé sans sucre. Un autre écart intuitif me conduira à un cerisier dont les branches, débordant sur la rue, portaient avant mon passage quelques petites cerises noires bien mûres avec sur chacune une goutte de rosée matinale : un délice.
La fréquentation sur cet EV 6 est assez disparate. De bon matin, les promeneurs, et surtout promeneuses, de chiens dominent. Je me demande toujours lequel entraîne l’autre entre l’animal et le maître ! Les adeptes du jogging apparaissent ensuite dans leur tenue moulante et flashy. Les pêcheurs prennent possession d’un emplacement, en général sur la berge opposée à celle de la voie verte. Et les cyclistes apparaissent plus tardivement selon plusieurs catégories : il y a les sportifs qui foncent sur leur vélo de course, les pépères qui vont faire leurs courses à eux avec leur vélo équipé d’un panier, et les itinérants reconnaissables à leurs sacoches et souvent à leur assistance électrique.
Pour les assoiffés de culture, on trouve le long de la voie quelques panneaux fort instructifs portant sur la faune et la flore le plus souvent, mais aussi sur l’histoire. Je lis avec intérêt la saga des tuileries Gilardoni, de l’invention en 1841 des tuiles à emboîtement qui feront la fortune de l’entreprise jusqu’à la fermeture définitive en 1981, en passant par plusieurs modernisations dans la période faste et par des tentatives de restructurations sur la fin. Un exemple de l’industrialisation, puis de la désindustrialisation de la France, le tout sur seulement un siècle et demi.
À Montbéliard, je parcours à vélo les rues piétonnes du centre-ville, puis m’installe à la terrasse ombragée d’un bar et commande un Schweppes-Tonic. Il commence à faire chaud ! Je me décide à rouler encore un peu, espérant toujours terminer mon étape avant l’orage. C’est seulement à Colombier-Fontaine que je ferai ma pause-déjeuner : une salade comtoise, appellation justifiée par la présence de dés de Comté et de tranches de saucisses de Montbéliard, une bière et une carafe complète d’eau fraîche, une mousse au chocolat, un café et mon premier cigare, un mini Davidoff de l’une des boîtes achetées à Maurice.
La salade comtoise |
Depuis Montbéliard, le canal a rejoint la vallée du Doubs. La voie verte suit le plus souvent le canal, mais parfois aussi la rivière. Ces passages sont plus agréables, les eaux étant plus claires et plus vives, et les berges plus sauvages. Je rencontre une équipe de travailleurs en attente d’une grue pour enlever un arbre tombé dans la nuit en travers du canal. Ils m’apprennent que ce coin a subi hier soir un vent fort et un orage violent. Mon inquiétude ne fait que grandir !
À L’Isle-sur-le-Doubs, je fais une dernière pause désaltérante. Certes, il ne reste plus que 5 kilomètres à parcourir pour atteindre ma chambre d’hôtes, mais elle est située en dehors de la vallée. C’est donc une bonne grimpette que j’aurai à affronter pour terminer cette belle journée de pédalage. Et la température est montée à 37 degrés selon l’affichage de la pharmacie.
A L'Isle-sur-le-Doubs |
Mais me voilà bien arrivé sans trop de difficulté. Et j’ai eu le temps de faire une séance d’aquagym dans la piscine avant l’orage attendu qui vient enfin d’arriver : pluie, vent, tonnerre. Je viens de me barricader en fermant les volets de la porte et de la fenêtre de ma chambre !
La trace du jour |
Étape 4 - Vendredi 24 juin 2022
De Geney à Vorges-les-Pins - 94 km
Pas de véritable table d’hôtes hier soir, mais on me sert une belle plâtrée de spaghettis à la bolognaise, qui aurait ravi Nath, suivi d’une part de Comté, histoire de justifier le deuxième verre de vin d’Arbois. Un couple de Belges pique-niquent à la même table et nous entretenons une conversation nourrie sur différents sujets. Ils sont là depuis 3 jours et parcourent des parties de l’EV 6 en aller-retour sur leurs vélos assistés.
Ce matin, petit-déjeuner à 7h seulement en compagnie de deux ouvriers qui ont passé toute la semaine ici pour mener à bien une expertise de sol avant construction. Ils sont heureux de voir arriver la fin de la semaine et le retour chez eux ce soir à Dijon. Pour moi, départ à 7h30 pour une longue étape et sous le soleil, mais ça ne va pas durer !
Je redescends vers le canal en m’étonnant d’avoir fait ce trajet en montant hier : je devais être dans un état second ! La voie verte suit au début paresseusement les méandres du Doubs qui est maintenant navigable sur de grandes portions. De loin en loin, on retrouve l’habituel triptyque : déversoir pour l’écoulement des eaux de la rivière, écluse pour le passage les bateaux, ponton pour l’accostage lorsqu’il faut attendre pour l’éclusage.
Suit une partie moins agréable où l’on retrouve un tronçon de canal, et où la voie cyclable se retrouve coincée entre le canal et la ligne de TER. Je chante alors en inventant des paroles sur l’air de la chanson préférée d’Elise, Les roues de l’autobus : « Papy sur son vélo pédale, pédale... le long du canal... Les roues de son vélo tournent, tournent... le long du canal... La sonnette du vélo fait dring, dring, dring... le long du canal... Papy sur son vélo fait doux bisou, doux bisou... le long du canal. »
La voie verte entre canal et ligne de TER |
Heureusement, la vallée se resserre ensuite et s’enchâsse entre deux versants boisés laissant apparaître quelques pans de falaises calcaires. Ce serait du plus bel effet si le ciel n’avait pas viré au gris. À Baume-les-Dames, je fais une rapide visite du centre-ville et une pause-café précisément au moment où la pluie arrive. Je m’équipe en conséquence et repars encore plus désolé car le tronçon suivant pourrait donner lieu à de belles photos.
Le Doubs et ses falaises calcaires entre deux averses |
À midi, un restaurant inespéré se présente à Laissey. Lassé de rouler sous la pluie, je m’y engouffre sans hésiter. J’y déguste une friture de carpes de Franche Comté accompagnée d’un verre de Chardonnay vieilles vignes et suivie d’une mousse au chocolat et d’un café. Je traîne un peu en espérant que la pluie cesse, mais elle perdure et je me résigne à repartir. C’est une pluie continue, mais fine, pas si gênante, sauf pour les gouttes sur les verres de lunettes.
La vallée s’élargit à nouveau, faisant place à quelques champs. C’est toujours très verdoyant, mais moins joli. J’arrive à Besançon pour 15h et retrouve comme convenu, dans un bistrot de la place Granvelle, un couple d’amis habitant la ville que je n’avais pas revu depuis plusieurs années. Nous buvons un pot en échangeant de nos nouvelles et en devisant sur l’état du monde.
Le Doubs et la forteresse de Besançon |
Vers 16h30, la pluie cesse enfin et le ciel se dégage. Il me reste une quinzaine de kilomètres à parcourir, d’abord le long du Doubs, puis en montant vers Vorges-les-Pins, le petit village dans les hauteurs duquel est située ma chambre de ce soir. Cette dernière montée fut assez éprouvante et j’ai dû faire appel à ma fierté pour ne pas mettre pied à terre. Mais tout va bien maintenant et un dîner m’attend à la ferme auberge voisine.
La trace du jour |
Étape 5 - Samedi 25 juin 2022
De Vorges-les-Pins à Dole - 50 km
Très bon repas hier soir à la ferme-auberge Au Doubs Repos : feuilleté de Saint-Jacques, veau sauce forestière, plateau de fromage (avec une délicieuse cancoillotte), tarte au citron. Un menu complet, ce qui est devenu trop rare, accompagné d’une demi-bouteille de vin d’Arbois et terminé par un alcool de prune. Après ma longue étape du jour, dont une grande partie sous la pluie, tout cela passe très bien !
Nuit perturbée par un épisode de crampes dans une cuisse : hier, je n’ai sans doute pas bu assez d’eau et peut-être avalé trop de kilomètres ! Heureusement, j’ai prévu pour aujourd’hui une étape nettement plus cool. Et ce sera sous le soleil, sans une goutte de pluie, toute la journée.
Il ne fait que 14 degrés au départ de ma ferme-auberge haut perchée d’où l’on a une jolie vue panoramique jusqu’à Besançon. Pour la première fois, j’enfile mon éternelle polaire sans manches pour filer dans la descente jusqu’au bord du Doubs où je la retire immédiatement car j’ai déjà chaud ! Petite pause au village de Boussières pour jeter un œil à l’église et son clocher du XIème siècle. Je dois reconnaître une certaine beauté !
Eglise de Boussières |
Le Doubs et le canal alternent entre vie commune et séparation. J’adore les parties où la voie verte se situe entre les deux, eaux vives d’un côté, eaux mortes de l’autre ; berges boisées d’un côté, berges fleuries de l’autre.
Le canal et la voie verte |
Et, lorsque se présentent des tronçons plus monotones, rectilignes, le long du canal, je force l’allure en essayant de rattraper d’autres cyclistes dans ma ligne de mire. Je dépasse ainsi, en m’efforçant de siffloter, un groupe de quatre tricheurs, tous équipés d’une batterie. En revanche, je dois renoncer, au bord de l’épuisement, avec un couple pris en chasse. Je ne saurai jamais : eux tricheurs et/ou moi vieux ?
La navigation de plaisance sur le canal est encore très réduite en cette saison, et la navigation commerciale encore plus, mais elle n’a pas totalement disparu. J’assiste à l’éclusage d’une grosse péniche. Il ne reste une marge que de quelques centimètres entre sa largeur et celle de l’écluse, mais tout est automatisé, le fonctionnement de l’écluse et le pilotage du bateau. Le Hollandais à bord m’explique qu’il vient de Rotterdam et va à Chalon-sur-Saône prendre en charge des caissons contenant des « matériaux lourds » (impossible d’en savoir plus).
À hauteur de Saint-Vit, je m’échappe de l’eurovélo pour monter au village : encore un beau clocher pour l’ancien, mais aussi une superbe médiathèque pour le moderne. Et, pour faire le lien, la médiathèque est baptisée et s’appelle « Les Mots Passants ». Je bois un simple café au bar-PMU où défilent les nombreux adeptes de jeux de tirage et de grattage.
La médiathèque de Saint-Vit |
Entre La Butte (bien nommée) et Orchamps, aucune berge n’est praticable à vélo. Il faut se coltiner une belle grimpette, qui coupe les jambes, avant de redescendre un peu plus loin. A Rochefort-sur-Nenon, de belles falaises encadrent à nouveau le Doubs, mais j’ai faim et le restaurant du village est fermé. Je devrai pédaler jusqu’à Dole pour me sustenter tardivement, dans la première brasserie rencontrée, d’un plat unique : une saucisse de Morteau, pommes sautées, salade verte.
Je n’irai pas plus loin aujourd’hui puisque je dois retrouver ici en fin d’après-midi une amie, Françoise, qui viendra en voiture depuis Lyon pour passer la soirée avec moi. Visite de la ville et restaurant en perspective...
De Dole à Gray - 85 km
Hier soir, je trouve Françoise, avec une heure d’avance, derrière la porte de notre hôtel très particulier : c’est une bâtisse ressemblant à une simple maison à un étage ; il n’y a aucun accueil. Il faut appeler un numéro affiché pour obtenir des codes d’entrée et d’accès aux boîtiers contenant les clés des chambres. Françoise, arrivée avant moi, est déjà dans les lieux.
Je case mon vélo dans le couloir, expédie le plus vite possible mes obligations du soir, et nous partons nous balader dans la ville en suivant plus ou moins un parcours de découverte historique qui nous conduit finalement au bord du Doubs dans le quartier de la Petite Venise (encore une !). Nous descendons une bière chacun en échangeant nouvelles et photos de famille, puis dégustons un bon dîner, arrosé d’une bouteille de vin d’Arbois, dans un cadre très agréable au bord d’un canal. Pendant le repas, le ciel s’obscurcit, puis la pluie arrive, mais une éclaircie nous permettra de regagner l’hôtel sans nous mouiller.
Ce matin, notre hôtel toujours particulier ne proposant pas de service de petit-déjeuner, la pluie tombant à nouveau, et mon étape du jour étant longue, j’abandonne Françoise un peu précipitamment dès 7h. De son coté, elle devait faire une petite rando-solo pour couper son retour sur Lyon, mais elle y renoncera en raison des conditions météo.
Départ imminent (sous la pluie) |
Équipé en mode pluie ainsi que mon vélo, je retraverse la ville pour rejoindre au bord du Doubs l’EV 6 que je vais suivre encore pendant une quinzaine de kilomètres jusqu’à sa jonction avec un nouvel itinéraire nommée la Voie Bleue. Je dépasse au passage le point le plus au sud de mon projet. Cette voie, que j’ai prévu de suivre pendant les 4 prochains jours jusqu’au sud de Nancy, relie dans sa totalité Lyon au Luxembourg en empruntant les vallées de la Saône et de la Moselle.
Je découvre très vite que cette Voie Bleue, que j’aimerais bien rebaptiser Ciel Bleu, n’est pas verte au sens où elle n’emprunte pas que des voies réservées aux cyclistes et aux piétons. Ce n’est pas du tout une tare car cela lui confère plus de diversité, mais il faut redoubler de prudence sur les tronçons en routes, heureusement à faible circulation, partagées avec les voitures.
Sur les parties sans voitures, pour la plupart en bord de Saône, il faut être vigilant aussi car, à la suite des orages des derniers jours, des branchages sont tombés à terre et il faut les contourner. J’essaye aussi d’éviter d’écraser les escargots qui sont de sortie. Évidemment, cela me branche sur une chanson qu’Elise aime bien, celle du petit escargot qui, aussitôt qu’il pleut, est tout heureux et sort sa tête. Mais, bien sûr, tel n’est pas mon cas et, au contraire, je m’efforce de rentrer ma tête dans mes épaules !
Après 2h30 de pédalage presque continûment sous la pluie, je m’achète un pain au chocolat à Auxonne et m’installe dans un bar pour boire un café, puis un second, en espérant que la pluie cesse. Mais, au contraire, elle redouble d’intensité ! Les habitants sont désolés car, cet après-midi, ce doit être carnaval dans la ville. Ils consultent sur leur smartphone plusieurs sites qui donnent des prévisions météo contradictoires. Quant à moi, après une heure de pause, je dois bien me décider à repartir.
Quand on roule sous la pluie, il faut savoir se contenter de peu : un vol plané de héron (je n’en n’avais pas encore vu à ma grande surprise) ou de buse (plus grande, mais moins belle assurément que nos papangues -mâles- de La Réunion), une file de 4 cigognes (un peu loin de leur base alsacienne) parcourant une prairie, un champ de tournesols (ne sachant vers où tourner leur tête en l’absence de soleil),...
En ne faisant aujourd’hui aucun écart vers les villages, je finis par arriver à ma destination du soir plus tôt que prévu, mais le ventre vide. Un restaurant, fermant normalement à 14h30, acceptera heureusement de m’accueillir à condition d’ingurgiter rapidement le plat du jour, une tête de veau sauce gribiche. Et on me concédera aussi un café (très) gourmand.
Le café (très) gourmand |
Une fois bien installé dans ma chambre d’hôtel et disposant du Wifi, j’ai pu faire une connexion par FaceTime avec Daniel, Lucie, Nath et Elise qui m’a fait une démonstration virevoltante de l’usage du smartphone. Un heureux échange de bisous en direct pour me réconforter après ce long pédalage bien arrosé.
La trace du jour |
Étape 7 - Lundi 27 juin 2022
De Gray à Scey-sur-Saône - 60 km
Hier, après une courte accalmie en fin d’après-midi, la pluie s’installe à nouveau pour toute la soirée et s’accompagne de coups de tonnerre. Je décide de ne pas ressortir de ma chambre d’hôtel et de me passer de dîner : vraiment pas grave car j’avais déjeuné tard et un peu trop mangé ces derniers jours. Je me repose et avance un peu dans mes réservations : tout est réglé pour les trois prochains jours, avec des étapes de longueurs raisonnables.
Ce matin, je change de stratégie en prenant le petit-déjeuner à l’hôtel servi dès 7h. C’est basique, mais je me force à manger du pain avec des confitures de fraises industrielles. Et départ sous un ciel très gris qui le restera toute la journée, et une toute petite pluie fine qui s’éclipsera vite et ne réapparaîtra pas. Un temps agréable pour pédaler mais, une fois de plus, pas terrible pour les photos, quoique...
Un peu de romantisme |
Je reprends la remontée du Val de Saône en empruntant toujours la Voie Bleue. Celle-ci est bien signalisée et il est inutile d’avoir recours aux traces enregistrées sur ma tablette. Le revêtement est en général très correct, à l’exception de quelques passages en sous- bois où les racines ont engendré des bosses et des fissures. Il y a aussi encore des branchages tombés à terre, et je trouverai même un arbre en travers du chemin qui me contraindra à un portage délicat du vélo.
La Saône prend ses aises dans sa vallée et effectue de multiples méandres. Elle est large, majestueuse avec le plus souvent une de ses rives boisée. Les arbres ont parfois les pieds dans l’eau et leurs branches viennent caresser la surface : bel effet ! Pour court- circuiter les plus grands méandres, des tronçons de canal ont été construits, avec à deux endroits des passages en tunnels que l’on ne peut pas emprunter à vélo : il faut alors passer par la forêt au-dessus au prix d’une petite grimpette.
Comme au bords du Doubs, je m’arrête fréquemment pour discuter avec les pêcheurs et j’ai recueilli pas mal d’informations. Le nombre de cannes autorisées est limité à 4, une portée et 3 posées. La pêche comporte deux temps : il faut d’abord à l’asticot, avec une canne légère, attraper une alevin, lequel servira ensuite d’appât pour la pêche au vif avec une plus grosse canne. L’espoir est alors d’attraper un brochet, ou mieux un sandre.
Mais la pêche est avant tout un passe-temps car les prises sont rares. Et il y a le problème des silures, ces énormes poissons carnassiers remontés du Rhône qui bouffent tout, les autres poissons mais aussi les poules d’eau et les canards qui seraient en voie de disparition. Effectivement, je n’en ai vu aucun depuis deux jours !
La campagne a aussi ses charmes. Pas de grosses exploitations ici et beaucoup de diversité. Des champs de maïs et de blé. D’autres déjà parsemés de meules de foin. Et des prés à vaches ou à chevaux. Les premières s’approchent lorsque je m’arrête et viennent prendre la pose pour la photo, mais les seconds sont moins coopératifs !
Des vaches coopératives |
Cette Voie Bleue est bien fréquentée par des cyclistes itinérants qui, pour la plupart, ont des vélos beaucoup plus chargés que le mien. On rencontre des solitaires (autant de femmes que d’hommes) et des couples (mixtes ou pas). Les discussions sont rares car on ne fait le plus souvent que se saluer en se croisant. Ceux que j’ai abordés étaient tous engagés dans de longs périples, de Rotterdam à Barcelone par exemple pour deux d’entre eux.
Aujourd’hui pour moi, pas de gastronomie, juste de l’alimentation ! À midi, j’avais repéré sur Internet un restaurant de bonne réputation à Ray-sur-Saône. Je m’y présente confiant à 11h30, mais j’apprends que c’est complet pour midi. La patronne acceptera juste de me faire un sandwich au pâté de campagne que j’irai déguster plus loin sur une table vermoulue ! Et ce soir, la chambre où je suis à Scey-sur-Saône n’assure plus la table d’hôtes. Je me suis acheté un repas froid que je pourrai prendre dans la cuisine mise à disposition.
Étape 8 - Mardi 28 juin 2022
De Scey-sur-Saône à Bains-les-Bains - 78 km
Dîner hier soir et petit-déjeuner ce matin en solitaire dans le coin-repas mis à disposition. Les deux autres chambres ne sont pas occupées et les propriétaires sans doute trop occupés ! Je n’aurai eu affaire au Monsieur qu’un quart d’heure à mon arrivée hier pour qu’il me communique les règles de la maison. Je m’efforce de les appliquer en quittant les lieux sans faire de bruit et sans regret.
La vallée de la Saône étant noyée dans une brume épaisse, je file par la route jusqu’à Port-sur-Saône où je ne fais que tirer de l’argent liquide à la Banque Postale à l’entrée de la ville. À partir de là et jusqu’à Corre, la Voie Bleue est encore en projet et va elle aussi emprunter des routes à partager avec les voitures comme l’indiquent des panneaux, à l’efficacité douteuse, préconisant une distance de 1,50 mètre entre autos et vélos.
Partage délicat ! |
Cependant, il n’y aura que deux tronçons un peu anxiogènes, sur la D56 après Port-sur- Saône et sur la D44 avant Corre. Et les conducteurs sont en général corrects en s’écartant assez largement pour me doubler. N’empêche qu’une petite angoisse me saisit à chaque voiture que j’entends vrombir dans mon dos. Heureusement, les autres parties sont beaucoup plus tranquilles sur de petits chemins vicinaux à très faible circulation.
Mais il y a une autre difficulté : le vallonnement. Bien sûr, il est très agréable d’arrêter de pédaler dans les descentes, ce qui n’arrive jamais le long des voies d’eau où le pédalage doit être constant. Mais il faut affronter les montées qui cassent les jambes. Peu avant Jussey, je me retrouve ainsi au pied d’un mur et je pense que, cette fois-ci, je n’arriverai pas à le franchir sans mettre pied à terre. Erreur, il ne faut pas se sous-estimer ! Mais j’avoue que je terminerai en tirant des bords et que je ferai une bonne pause au sommet.
Mon vélo fait une pause ! |
À Jussey, c’est jour de marché. Il occupe une longue rue que je parcours à pied en poussant le vélo, ce qui prendra pas mal de temps car il n’est pas aisé de se frayer un chemin. Les melons et les nectarines font envie, mais ce sont des cerises que je m’achèterai : une poignée pour un euro. Et je me paye aussi pour un autre euro un samoussa bœuf curry qui est de forme carrée et quatre fois plus gros que nos samoussas réunionnais. Je déguste aussitôt mes deux achats au premier bar venu avec une bière corse en levant mon verre à la prouesse de deux amis qui viennent de parcourir l’intégralité du GR20.
À Corre, j’espérais déjeuner au restaurant La Marina situé aux abords du joli petit port fluvial, mais je le trouve fermé. Je me contenterai du menu du jour du bar-restaurant de la ville : pâté de campagne, lapin chasseur servi avec des pâtes, fromage ou mousse au chocolat. Je constate une fois de plus la large place accordée aux fruits et légumes dans ce type de restaurant fréquentés par des ouvriers le midi !
Le port fluvial de Corre |
Après Corre, finie la route et finie la Saône ! La Voie Bleue, devenue Échappée Bleue, ou encore Véloroute Charles le Téméraire (on s’y perd dans toutes ces dénominations !) reprend du service. Elle cesse de remonter la Saône vers sa source pour emprunter le chemin de halage réhabilité en voie verte du Canal de l’Est (aussi appelé Canal des Vosges !). Ce canal suit pour le moment la vallée du Coney, affluent de la Saône, et je continuerai à le suivre demain jusqu’à la Moselle.
Pour ce soir, je le quitte pour monter vers la station thermale de Bains-les-Bains où se trouve ma chambre d’hôtes qui, chose de plus en plus rare, fait aussi table d’hôtes. Au total aujourd’hui, une belle journée alternant, après dissipation des brumes matinales, périodes ensoleillées et passages nuageux, avec une température idéale pour pédaler.
La trace du jour |
Étape 9 - Mercredi 29 juin 2022
De Bains-les-Bains à Vincey - 71 km
Très bon dîner hier soir, gastronomique mais pas gargantuesque, en compagnie de deux couples de Hollandais et d’un Français. Conversation difficile avec les Hollandais, malgré des efforts réciproques. Expliquer la situation géographique et institutionnelle de La Réunion me demandera beaucoup de patience ! Quant au Français, il est là pour trois jours et promène l’après-midi un couple d’amis qui font leur cure thermale le matin.
Ce matin, une fois de plus, impossible d’obtenir le petit-déjeuner à une heure convenable. Une banane et un verre de jus d’orange sont mis à ma disposition à mon départ un peu avant 7h. Je traverse la ville en apercevant quelques maisons typiques des stations thermales, et redescends vers le canal à vitesse modérée car il ne fait pas chaud, même revêtu de ma polaire.
Sur une vingtaine de kilomètres, je vais parcourir la plus belle partie du Canal de l’Est. En ce petit matin, je suis délicieusement seul avec la vue des eaux fumantes du canal à ma gauche et le bruit des eaux vives du Coney à ma droite. Les versants boisés se resserrent de plus en plus. On est isolé du monde. Je fais de nombreuses pauses-photos, mais il est difficile de rendre compte de l’atmosphère que je ressens. À noter que je vois quelques canards, signe peut-être que les silures ne remontent pas jusque là.
Le long du Canal de l'Est |
Le seul point négatif est l’état d’abandon quasi général des anciennes maisons éclusières. L’automatisation des écluses a mis fin au métier d’éclusier, mais, sur d’autres canaux, les maisons éclusières ont été vendues ou louées à des particuliers pour des sommes modiques, à charge pour eux de les entretenir, notamment en matière de fleurissement. Ici, rien n’a été fait. Il faudrait faire un choix entre réhabiliter ou détruire.
À hauteur de Girancourt, je quitte le canal pour traverser ce village espérant y trouver de quoi prendre enfin un vrai petit-déjeuner. Le seul commerce ouvert est un bar où je ne pourrai m’offrir qu’un café, mais où on m’indique qu’il y a une boulangerie dans le prochain village, à Chamousey. Je constaterai que cette information est exacte, et aussi que ladite boulangerie est fermée le mercredi !
Malgré ma fringale, je décide de faire le tour du lac de Bouzey, ce que l’on m’avait aussi recommandé au bar de Girancourt. Cela est en effet tout à fait possible à vélo, y compris le mercredi, mais d’un intérêt moyen. Le lac est en partie envasé et la baignade interdite. On y pratique canoë et pédalo. On y voit quelques cygnes. C’est en fait une retenue artificielle créée pour alimenter le canal.
Le Lac de Bouzey |
C’est que je suis arrivé au point le plus haut de ce canal. Je franchis à nouveau, dans l’autre sens, la ligne de partage des eaux entre Méditerranée et Mer du Nord. Après un long bief de partage, le canal dégringole vers la vallée de la Moselle en une douzaine d’écluses très rapprochées et séparées par des plans d’eau qui constituent des réservoirs de régulation.
On arrive ainsi dans les zones industrielles et commerciales de la périphérie d’Epinal. Maintenant affamé, je décide de forcer l’allure pour me rendre au plus vite au centre-ville d’Epinal et m’y payer un bon restaurant. Mais la faim fait perdre tout discernement et je vais rater l’embranchement vers la ville et continuer à pédaler pendant 5 kilomètres avant de m’en rendre compte, en arrivant à Thaon-les-Vosges. Dans ce village, un seul restaurant, La Bergamote. J’y file, mais il y a eu le feu en cuisine (au sens propre) : fermé ! Je devrai finalement me rabattre sur une pizzeria et consommer une très quelconque salade qualifiée de vosgienne et accompagnée d’un verre de rosé d’Italie.
Après cette pause, je reprends mon échappée bleue le long du canal. C’est très différent de ce matin. Le Coney a été remplacé par la Moselle dans une large vallée urbanisée. Et la voie est très fréquentée par des cyclistes enfin réveillés. La Moselle, déjà assez large, mais impétueuse, n’est pas encore navigable, ce qui explique que le canal se prolonge en parallèle.
La Moselle vers Vincey |
Étape 10 - Jeudi 30 juin 2022
De Vincey à Saint-Nicolas-de-Port - 57 km
Hier soir, dîner encore plus gastronomique et encore moins gargantuesque que celui de la veille ! Le « Quasi de veau et ses petits légumes » est délicieux, mais les morceaux de muscle fessier de veau (c’est ça le quasi) sont plus petits que les légumes. Un verre de Côte du Rhône et un tiramisu, et au lit car la fatigue supplante la faim.
Ce matin, sachant que mon étape sera plus courte, je prends le temps, en tant que premier client comme d’habitude, d’un petit-déjeuner à l’hôtel et me gave (un peu) de pain et confitures. Et je repars sur la désormais nommée « Voie Bleue Moselle-Saône » que je vais encore suivre ce matin sous le soleil et vers le nord jusqu’au sud de Nancy.
Ce tronçon longe toujours le Canal des Vosges et est, dans un genre très différent, aussi beau que celui d’hier. Il est sublimé par les magnifiques platanes qui le bordent, ce qui donne lieu de ma part à de (trop) nombreuses pauses-photos. Il faut espérer que ces arbres ne soient pas atteints par une maladie, comme ceux du Canal du Midi.
Mes remarques d’hier ont déjà été prises en compte puisque les maisons éclusières ont retrouvé vie. Certaines font un peu bric-à-brac, mais plusieurs présentent à nouveau leurs petits potagers et jardins fleuris traditionnels.
Le canal et la Moselle vivent toujours séparés. Ils se frôlent pudiquement par moment, mais ils s’éloignent ensuite, le temps pour la dame de lorgner vers les nombreux étangs qui occupent sa vallée. Et vient le moment où le hardi canal chevauche la rivière en changeant de rive par l’intermédiaire d’un pont-canal. Je n’assisterai pas finalement au mariage qui aura lieu plus en aval, avec le mien bien sûr.
Le pont-canal |
Je fais moi aussi une petite infidélité au canal en m’écartant vers le village de Flavigny- sur-Moselle. Après 2 heures de pédalage, comme d’habitude, une petite pause s’impose, davantage pour soulager mon quasi que mes jambes. Je m’achète à la boulangerie une petite brioche tressée et un café que je vais consommer sur un banc à la porte de l’église.
Quelques kilomètres encore et je quitte définitivement la Voie Bleue qui se poursuit vers le Luxembourg en longeant toujours la Moselle. J’emprunte le Canal de Jonction qui permet de passer de la vallée de la Moselle à celle de la Meurthe en reliant le Canal des Vosges à la Partie Est du Canal de la Marne au Rhin, qui va être mon fil directeur jusqu’à Strasbourg. Tout cela est peut-être un peu difficile à suivre et la consultation d’une carte des voies navigables de France pourrait être utile !
Ce Canal de Jonction ne fait que 10 kilomètre de long. Comme souvent, le bief de partage est le plus beau. Il passe dans un goulet étroit où la voie cyclable rétrécie n’est séparée du canal que par un muret de pierres moussues. Après une série d’écluses très rapprochées en redescendant, on atteint la Meurthe à Laneuveville-devant-Nancy où je fais ma pause-déjeuner dans un simple petit restaurant servant des portions copieuses, une bavette-frites-salade pour moi.
Et voilà, je perds le nord et, sans être à l’ouest, mets cap à l’est. Je décide d’aller rendre une première visite à mon nouveau canal sur une partie où le chemin de halage n’a pas été aménagé pour les vélos. Ce tronçon est normalement réservé aux piétons, mais une étroite bande de terre permet de rouler entre les herbes. Je ne m’obstine pas trop longtemps et rejoins par la route mon hôtel-restaurant du soir situé à Saint-Nicolas-de- Port et appelé L’Epicurien.
Le long du Canal de la Marne au Rhin |
Au total, encore une belle journée de pédalage et de découvertes par un temps idéal, sous un ciel à dominante bleue jusqu’à mon arrivée. Mais, en cette fin d’après-midi, des nuages gris apparaissent et le vent se lève. Des risques d’orages sont annoncés. Je vais aller mettre mon vélo à l’abri.
La trace du jour |
Étape 11 - Vendredi 1er juillet 2022
De Saint-Nicolas-de-Port à Xouaxange - 71 km
J’aurais dû me méfier hier soir au vu du nom de mon hôtel-restaurant. Cet Épicurien offre des plaisirs au plus proche de la nature. J’aurai ainsi droit à « La tomate en trois textures » et à un filet de sébaste (c’est un poisson) accompagné de « panais au miel et son écrasé ». De très beaux et très bons plats comme dans Top Chef, mais il faudrait pouvoir manger ensuite !
Ce matin, le serveur vient spécialement pour moi à 6h30 pour me servir un petit-déjeuner basique pain-confitures-croissant-thé. Avant 7h, je suis sur mon vélo. Je traverse la Meurthe et roule pour m’extirper au plus vite de cette périphérie nancéienne et retrouver la campagne, en suivant un itinéraire sur routes heureusement enregistré sur ma tablette. Ce n’est qu’à partir de Maixe que redémarre, sur le chemin de halage du canal, la Véloroute du Canal de la Marne au Rhin.
La Meurthre à Dombasle-sur-Meurthre |
En cette heure encore matinale, on rencontre surtout des pêcheurs tout juste installés. Je discute longuement avec l’un d’eux, de la pêche et des silures bien présents ici aussi, puis d’autres sujets comme la disparition des petits commerces dans les villages et celles des péniches marchandes sur le canal. Il se dit « un peu écolo » et peste sur le développement du transport par camions.
Après 9h, heure réglementaire pour la mise en fonctionnement des écluses, les plaisanciers se mettent à bouger en quittant les ports fluviaux ou les emplacements trouvés pour la nuit. Ils sont déjà nombreux et le seront plus encore à partir de demain, premier samedi de juillet. Au port de Lagarde, c’est l’effervescence chez la société loueuse de bateaux pour les préparatifs.
Le port fluvial de Lagarde |
À Moussey, je parviens à m’acheter dans un petit magasin multi-services un pâté lorrain que je mange aussitôt dans le bar d’à côté en l’accompagnant d’une pression : ce sera mon déjeuner. Je fais ensuite un aller-retour pour me rendre sur le site de Bataville sur lequel j’avais lu des articles en préparant mon périple.
En résumé, c’était une sorte de cité ouvrière, qui fut construite en 1931 à l’initiative d’un entrepreneur tchèque, Tomas Bata, qui connaîtra une période d’apogée, puis de déclin dans les années 80, et fermera finalement en 2002. Elle comportait une usine de fabrication de chaussures (les chaussures Bata), des immeubles d’habitation pour les employés, un complexe sportif, une école, des commerces : une véritable utopie à caractère paternaliste. Je constate sur place que les projets de revalorisation globale du site n’ont pas avancé : la majeure partie des bâtiments est à l’abandon. Seuls quelques entreprises disparates occupent les rez-de-chaussée.
Les locaux de Bataville |
En continuant à remonter le canal, j’aborde cette partie de Lorraine appelée Pays des Etangs. Et, en effet, on trouve des étangs de tous les côtés. J’apprends qu’ils ne sont pas tout à fait naturels puisqu’ils proviennent d’anciens marais réunis, puis agrandis, par les hommes pour constituer des réserves d’eau suffisantes pour l’alimentation du gourmand canal.
Ça me plaît beaucoup. Je flâne un peu, visite un arboretum, fais des photos. Et puis on arrive au pied de la Grande Écluse. C’est un ouvrage impressionnant, construit dans les années 60, pour remplacer une échelle de 6 écluses et gagner du temps. À elle seule, elle permet de faire effectuer aux bateaux un dénivelé d’environ 16 mètres. Pour la franchir, il faut rester enfermer, comme dans un ascenseur, pendant un quart d’heure.
Au sommet de la Grande Ecluse |
Au delà, le long bief de partage est encadré par une forêt de feuillus (hêtres, charmes, grands chênes) d’un côté et par de grands étangs encore de l’autre. C’est aussi sur ce très beau tronçon que se fait la jonction entre le Canal de la Sarre et celui de la Marne au Rhin. Il se termine à Gondrexange, où se trouve la première écluse du versant Rhin et aussi une boulangerie. J’y ferai ma pause-goûter : un tiramisu et un café.
Les étangs de Gondrexange |
Encore quelques kilomètres dans la campagne et me voilà ce soir à Xouaxange dans une maison d’hôtes accueillante (on m’a offert une bière à mon arrivée) mais qui ne fait pas table d’hôtes. J’irai dîner au restaurant voisin.
La trace du jour |
Étape 12 - Samedi 2 juillet 2022
De Xouaxange à Steinbourg - 46 km
Le restaurant où je dîne hier soir est tenu par un couple franco-malgache, et la carte est pareillement métissée. J’ai failli me laisser tenter par un romazava, mais n’ai pu résister aux cuisses de grenouilles en persillade. On me sert un plat copieux, accompagné d’un quart de Pinot Gris d’Alsace. Et, en tant que voisin réunionnais, j’aurai droit à un rhum gingembre comme pousse-café sans café.
Les grenouilles en persillade |
En ce samedi matin, j’ai dû attendre 8h pour le service du petit-déjeuner. Longue attente car je suis bien incapable de faire la grasse matinée. Le carré de ciel bleu que j’aperçois à travers le Vélux de la chambre me donne des fourmis dans les jambes. Mais l’heure fixée arrive enfin et j’apprendrai en buvant mon thé que deux fléaux atteignent la commune, le vorace renard qui mange les poules la nuit, et les bruyants camions qui acheminent vers la cimenterie le précieux calcaire des carrières voisines.
Jusqu’à Arzviller, la véloroute s’écarte souvent du canal pour emprunter de petites routes à travers bois, champs ou prés. C’est joli, un peu vallonné. La ligne, pas très bleue, des Vosges se laisse apercevoir au loin. Des chevaux restent indifférents à mon passage, refusant de s’approcher. Puis le canal emprunte successivement deux tunnels et il faut pédaler encore un plus fort pour passer par la forêt au-dessus.
Le tunnel d'Arzviller |
Le canal va ensuite quitter le plateau lorrain pour entamer sa descente vers la plaine d’Alsace. Avant 1969, cela se faisait par une échelle de 17 écluses dont le franchissement demandait toute une journée de navigation. C’est cette partie désaffectée, appelée Vallée des Eclusiers, que la voie cyclable emprunte. L’impression est étrange avec ce canal vide, colonisé par herbes ou arbres, et ces maisons éclusières plutôt bien conservées et même, pour certaines, habitées.
Dans la Vallée des Eclusiers |
Aujourd’hui, les bateaux emprunte un plan incliné transversal pour franchir d’un seul coup les 45 mètres de dénivelé. Il est malheureusement impossible de se rendre au pied de cette structure pour de mystérieuses raisons de sécurité. Et atteindre le sommet à vélo n’est pas aisé : il faut emprunter une route assez fréquentée et bien sûr remonter tout ce qu’on avait descendu le long des anciennes écluses.
Je m’y lance néanmoins courageusement et découvre que le site est payant : 5€ pour accéder à la plateforme supérieure et assister au passage des bateaux. C’est assez spectaculaire : ils entrent à deux dans un bac, une sorte de baignoire, qui va ensuite glisser sur le plan incliné jusqu’au niveau inférieur. C’est aussi très ingénieux car cela ne fait quasiment aucune déperdition d’eau contrairement aux éclusages et consomme peu d’énergie grâce à un système de caissons remplis d’eau faisant contre-poids.
Deux bateaux descendant le plan incliné |
Après cette instructive visite, je redescends prudemment par la route. Au bas se trouve une cristallerie qui expose de belles pièces, mais surtout qui est attenante à un restaurant. Une tarte flambée forestière et une bière combleront mon estomac.
Je reprends ensuite la voie verte le long du canal en direction de Saverne. On est maintenant dans une belle vallée en V dont les deux versants sont boisés, de conifères essentiellement. À Saverne, je réalise deux des trois recommandations que m’avaient adressées par mail mes amis Michèle et François : parcourir le centre-ville, visiter le Palais des Rohan, boire une Licorne (bière artisanale locale).
A Saverne |
Il ne me reste plus que quelques kilomètres à parcourir pour atteindre mon hôtel-restaurant de ce soir à l’Ecluse 34 (c’est à la fois son nom et sa situation). Je viens de faire une séance d’aquagym dans la piscine pour terminer cette riche journée.
La trace du jour |
De Steinbourg à Strasbourg - 47 km
Au dîner hier soir : cassolette d’escargots, daurade sur purée de pommes de terre, dame blanche. Rien de gastronomique. Des plats simplement bons, avec des portions correctes. Ce matin, en perspective d’une étape à nouveau courte et entièrement à plat le long du canal, j’attends sagement le petit-déjeuner à l’hôtel et à l’heure dominicale, pas avant 8 heures.
En roulant vers l’est le matin, il y a un désagrément auquel j’aurais dû m’attendre : le soleil de face. Toujours pas adepte des lunettes idoines, j’avance les yeux à demi fermés sur les premiers kilomètres. Pas de regrets, car les abords du canal sont moins enthousiasmants que les jours précédents. Finies les rives boisées, même si, par endroits, un saule pleureur isolé ou des rangs de peupliers ou de bouleaux rompent un peu une certaine monotonie.
Cependant, la plainte d’Alsace, encore bien vallonée, ne manque pas d’un certain charme. On n’est pas ici dans la monoculture et les prés et les champs de blé, de maïs et de tournesol s’intercalent joliment. On aperçoit de petits villages vers lesquels je ne fais aucun écart. Je négligerai même Hochfelden, pourtant cité brassicole mais qui se présente trop tôt pour une première bière.
Tournesols, blés, maïs et village |
En ce dimanche, il y a beaucoup de circulation piétonne et cycliste sur la voie verte qui n’est pas très large, de moins d’un mètre souvent. Il faut faire preuve de civilité, ce qui n’est pas toujours le cas de ceux qui roulent vite sur leur vélo de course. Il faut dire que certaines familles font vraiment bouchons et se bougent mollement.
Sur l’eau, contrairement à la partie haute du canal sur le plateau lorrain, on voit de plus en plus de gros bateaux. D’anciennes péniches ont été reconverties en véritables hôtels flottants de standings divers, certaines de type « very luxury ».
Grosses péniches reconditionnées |
A Vendenheim, après mes 2 heures réglementaires de pédalage, je tente de trouver un bar pour étancher ma soif. Le village est joli, avec quelques belles maisons alsaciennes, mais pas de bistrot. Un monsieur me conseille d’aller dans le zone commerciale toute proche, mais je m’y retrouve soudain plongé dans la foule et le bruit. Je fuis et retrouve la voie verte en me contentant de l’eau de mon bidon.
A Vendenheim |
Et finalement, emporté par un nouvel élan, je comprends que j’arrive à Strasbourg lorsque j’aperçois le Palais de l’Europe. J’abandonne le Canal de la Marne au Rhin avant d’atteindre le Rhin et me dirige vers le centre-ville par un itinéraire pour les vélos longeant un autre petit canal. Sur la Place Broglie, je fais le tour d’une exposition de peintres, puis me pose à la terrasse d’une brasserie où je me paye un tartare de bœuf et un café et rédige l’essentiel de cet article.
Le Palais de l'Europe à Strasbourg |
J’ai ensuite un problème à régler car mon hôtel m’a envoyé un message m’indiquant qu’il ne disposait pas de garage à vélo. Où donc laisser ma monture en sécurité pour la nuit ? Les serveurs de la brasserie sont unanimes : attaché à un plot dans la rue, c’est un peu risqué. En tout cas, il me conseille de tout retirer, les sacoches certes, mais aussi la selle ! Pas très rassurant. Quant aux parkings souterrains, ils offrent des places pour voitures et motos, mais pas pour vélos. Finalement, je me présente à mon hôtel à 15 heures et plaide ma cause auprès de la gentille réceptionniste. Et voilà, mon vélo est dans le couloir du 1er étage, actuellement en travaux et donc inoccupé !
Je vais maintenant retrouver un ami connu à La Réunion, Jean-Paul, de retour depuis 2 ans dans son Alsace natale. Nous allons nous balade en ville avant de se faire un bon restaurant pour le choix duquel je lui fais toute confiance.
La trace du jour |
De Strasbourg à Barr - 57 km
Hier soir, Jean-Paul m’entraîne dans une grande visite pédestre de Strasbourg. Tout le centre, entre les bras de l’Ill, est réservé aux piétons, aux vélos et au tram. Il est très agréable de s’y balader, ce que nous faisons de monuments en jardin botanique. Après une pause IPA (Indian Pale Ale) et un passage au pied de la cathédrale, nous terminons notre tour de ville dans le quartier aussi animé que charmant de la Petite France.
Dans le quartier de la Petite France |
Jean-Paul a réservé pour le dîner dans un restaurant de sa connaissance, à l’écart de l’agitation touristique du centre-ville. Le repas sera un régal de la tranche de foie gras d’Alsace au Kouglof glacé en passant par le vol au vent, le tout arrosé de Gewurzt et de Pinot gris. Et, malgré mes récriminations, avec la complicité du patron, c’est la carte de Jean-Paul qui chauffera. Un grand merci à elle !
Aujourd’hui et demain, finies les petites étapes faciles : je dois me bouger un peu plus pour rallier Colmar avant mercredi midi. Donc, lever à 6h et départ à 6h30, le ventre encore plein du dîner de la veille. Je fais péniblement descendre l’escalier à mon vélo sans l’aide de la gentille réceptionniste qui n’a pas encore pris son service. Je traverse le centre-ville quasiment désert, puis retrouve les voitures à la périphérie, mais en toute sécurité grâce aux pistes cyclables bien conçues et bien signalisées.
Je rejoins ainsi rapidement la voie verte du Canal de la Bruche. Et, pour mon dernier tronçon le long d’un canal, ce sera un ravissement. Ce canal, construit sous les ordres de Vauban pour acheminer le grès rose des Vosges vers Strasbourg afin de construire la citadelle, n’est plus navigable depuis longtemps, mais il est toujours en eau. Les écluses ont été démantelées et remplacées par de charmantes petites cascades. Les rives se sont ensauvagées. En admirant les saules pleureurs, dont les branchages pendillent jusqu’à toucher les eaux, je me demande si ce ne serait pas leurs larmes qui alimentent le canal.
Le canal de la Bruche |
Les abords de Molsheim sont moins agréables à traverser. Mais c’est jour de marché et je prends à nouveau plaisir à déambuler entre les étals, toujours surpris par la grande place prise par les vendeurs de linge et de vêtements. Pas d’achat de cerises aujourd’hui, mais un croissant et un café au salon de thé.
Normalement, je devais ensuite suivre la Véloroute des Vins jusqu’à Barr via Obernai. Mais une rencontre va m’en écarter. C’est celle d’un couple de vignerons que je vois déboucher d’entre deux rangs parallèles du premier vignoble qui se présente. Munis de grattoirs, leur travail du jour est de supprimer les repousses aux pieds des ceps. On discute un moment des orages qui n’ont pas trop abîmé les grappes, nombreuses et déjà bien développées, laissant présager de belles vendanges. Puis ils me disent qu’une nouvelle voie verte a été aménagée sur une ancienne voie ferrée et que ça vaut la peine de faire un petit détour pour l’emprunter.
Je me laisse convaincre, fait demi-tour et, au prix d’une jolie grimpette, rejoins cette fameuse voie verte. En ayant raté le début, je mettrai un point d’honneur à la suivre jusqu’à sa fin, aux anciennes carrières du pied du Mont Sainte-Odile. C’est encore le grès rose de ces carrières que la voie ferrée permettait de transporter. À ce que je vois, il était temps que l’exploitation cesse avant que le Mont ne soit sapé à sa base.
Vignobles au pied du Mont Sainte-Odile |
En chemin, je m’infiltre vers le centre de chacun des villages avoisinants. Ils ont plusieurs points communs : on y trouve de belles demeures alsaciennes, ils sont abondamment fleuris, leurs bars et restaurants sont fermés le lundi. À Ottrott, je trouve quand même une boulangerie ouverte et la patronne me confectionne un bon sandwich jambon de montagne-crudités que je déguste aussitôt sur un banc avec un thé glacé à la menthe : déjeuner très raisonnable !
Maigre déjeuner |
Pour rejoindre Barr, je dois ensuite inventer un parcours entre vignes et forêts qui se révèlera plus vallonné que ce que j’imaginais. Mais, au sommet des côtes, de beaux points de vue se révèlent sur la campagne, les vignobles, les villages, la plaine d’Alsace, et même, tout au loin, sur ce que je crois être les monts de la Forêt Noire.
J’arrive finalement à Barr bien avant l’heure d’ouverture de la réception de mon hôtel-restaurant de ce soir. Je patiente tranquillement en sirotant successivement un Perrier et une pression, et en écrivant cet article au terme d’une journée très variée en termes de paysages comme de difficultés.
La trace du jour |
De Barr à Katzenthal - 55 km
En matière de gastronomie, je ne pouvais pas terminer ce périple autour des Vosges en délaissant le plat le plus emblématique de l’Alsace, la choucroute. Celle proposée par mon hôtel-restaurant d’hier soir était excellente et, comme il se doit, fort copieuse. Une demi-bouteille de Riesling fut nécessaire pour faciliter l’absorption de tout l’assiette.
Choucroute et Riesling |
Ce matin au réveil, un SMS de la SNCF va me contrarier pour toute la journée : il m’annonce que mon TGV de demain pour Paris est supprimé suite à un mouvement de grève inopiné. Seule solution concrète proposée : le remboursement. Je passe sur toutes mes hésitations et démarches. Finalement, je prendrai demain à Colmar un bus Blablacar qui devrait arriver à Paris après un long voyage et une correspondance à Lyon !
Après un petit-déjeuner vite expédié à l’hôtel, je me lance en me disant qu’il faut quand même que j’essaie de profiter de ce dernier grand jour de pédalage. Je choisis d’emprunter la variante la plus haute de la véloroute jusqu’à Dambach-la-Ville. Bien sûr, c’est un peu plus dur, avec beaucoup de vallonnements. Mais on se trouve au-dessus du vignoble, à la limite de la forêt, ce qui offre vraiment de beaux points de vue.
Parcours vallonné entre vignes et forêts |
Et on traverse plusieurs tout petits villages, Andlau, Itterswiller, Blienschwiller, qui ne sont pas parmi les plus connus, mais qui ont du charme et sont tous, à juste titre, labellisés « villages fleuris ». Il est d’ailleurs aussi plaisant de les traverser que de les observer de loin, nichés entre bois et vignes.
A Itterswiller |
Ayant été bien conseillé, je ne manque pas de faire un petit détour vers Dambach-la-Ville. Je parcours à vélo presque toutes les rues de la ville intra-muros et découvre partout des pépites de maisons alsaciennes. Seul défaut, la boulangerie-salon de thé est fermée et il n’y a pas de bar. Comme partout ici, la seule façon de boire serait de céder à une de ces omniprésentes propositions de dégustations venant de producteurs de plus ou moins grands crus.
A Dambach-la-Ville |
Après Châtenois, qui n’est pas en reste en matière de charme, la véloroute reste dans la plaine, où l’on retrouve une alternance de champs de blés et de vignes. C’est presque plat et donc plus facile pour le pédalage, mais on regrette de passer à l’écart des villages. Du côté des Vosges, on aperçoit sur les crêtes plusieurs ruines de châteaux, dont le plus connu, celui du Haut Koenigsbourg.
Je décide de bouder le trop touristique Ribeauvillé et de me contenter de Bergheim, qui est lui aussi un très joli village, injustement délaissé au profit de son voisin. Dans le seul restaurant ouvert, je m’octroie une salade vosgienne, une bière et un café gourmand, en consultant toujours, comme à chacun de mes arrêts, les dernières propositions de covoiturages pour demain sur Blablacar, dont aucune ne me conviendra.
A Bergheim |
Je roule ensuite assez longuement sans arrêt jusqu’à Ammerschwihr. Après un tour de ville, qui comporte aussi quelques belles habitations, je me laisse tenter à la boulangerie par une tarte amandine et un jus de pomme pétillant local, sans savoir encore qu’il s’agira là de mon repas du soir.
En effet, je suis ce soir à Katzenthal dans une chambre d’hôtes sans table d’hôtes alors que les deux restaurants du village sont fermés. Une journée décidément contrastée entre contrariétés et beautés des villages et des paysages.
La trace du jour |
De Katzenthal à Colmar - 8 km
Hier, dernière soirée en chambre et à l’eau devant la télé. Je peine un peu à écrire mon journal, ayant du mal à reconstituer mon parcours du jour, l’esprit encore perturbé par les aléas de mon voyage vers Paris. Ce matin, je suis réveillé dès 5h et bien incapable de me rendormir. Et donc, avant 6h, je suis sur mon vélo.
Les 8 kilomètres jusqu’à Colmar sont vite avalés par la route encore déserte à cette heure. J’arrive au centre de la ville après avoir traversé les faubourgs résidentiels et me pause à La Mie Dorée, où je chante (La-Mi-Do-Ré), mange un croissant, bois un café et m’achète un sandwich et une bouteille d’eau pour mon repas à bord du bus.
Je réveille la patronne du Domaine Jung où il a été convenu avec Alsace Cyclo Tour que je puisse déposer mon vélo avant l’heure d’ouverture de leur boutique. Les sachets repassent des sacoches au sac de sport et je constate que les contenus de plusieurs d’entre eux n’ont jamais servi, tels chaussures et lunettes de rechange, serviette et maillot de bain, et heureusement trousse de secours.
Je suis en avance et, pour me rendre à pieds jusqu’à la Place de la Gare où je dois prendre le bus, je fais un détour par le quartier de la Petite Venise. C’est très joli, peut-être même plus que la Petite France de Strasbourg. Le soleil levant donne de jolis reflets sur les canaux. Les terrasses désertes des nombreux restaurants donnent une idée des agapes de la veille au soir.
Dans le quartier de la Petite Venise à Colmar |
J’arrive à la gare encore en avance et me rends au guichet qui vient d’ouvrir. Mon idée est simplement de demander le remboursement de mon billet, puisque mes recherches d’hier sur le site de la SNCF ne me donnaient aucune solution de remplacement avant demain. Mais le guichetier me dit qu’on ne trouve pas tout en ligne et, après d’assez longues recherches, il m’édite une « billet mesure commerciale » pour rallier Paris dès cet après- midi en TER jusqu’à Mulhouse puis en TGV, en m’assurant que c’est tout à fait fiable. Je ne me confonds pas en remerciements car, derrière moi, une longue file d’attente s’est formée.
La gare de Colmar |
Du coup, je me rends au départ du bus pour informer le chauffeur de mon désistement. Il me dit que je pourrai peut-être obtenir un bon de réduction pour un prochain voyage ! Et je fais une photo pour Élise de ce rutilant bus rouge que Papy ne prendra pas !
J’écris cet article dans le très agréable Square Méquillet, assis sur un banc à l’ombre d’un tilleul. Dans un moment, je mangerai mon sandwich Poulet-César avant d’aller boire un café à la gare toute proche.
L’aventure est vraiment terminée.
La mini tace du jour |
Le bilan - Jeudi 7 juillet 2022
En réunissant les traces, on arrive à un total de 933 kilomètres, un peu plus que prévu en raisons de quelques écarts volontaires ou moments d’égarements. C’est toujours satisfaisant de constater que l’on a correctement évalué à l’avance la longueur, mais aussi la difficulté, de son itinéraire, ce qui est essentiel pour que l’aventure puisse se vivre avec plaisir et non dans la douleur.
La réunion de toutes les traces journalières : 933 km |
Il y eut bien quelques désagréments : une journée entière sous la pluie, quelques tronçons un peu monotones, plusieurs raidillons durs pour le pédalage, certains repas basiques ou trop légers ou inexistants, peu de rencontres vraiment intéressantes. Mais, dans tous les domaines, le positif l’emporte largement sur le négatif.
Sur la météo, j’ai en réalité eu beaucoup de chance. Les orages, sans cesse annoncés pendant la première semaine, m’ont épargné. Ils ne se sont manifestés que par quelques coups de tonnerre lointains ou qu’après mon arrivée à l’abri en soirée. Le vent, ennemi intime du cycliste, fut quasiment inexistant, et la chaleur jamais trop gênante. Et le ciel, gris certains jours, maintenait une température idéale pour l’effort.
Pour les paysages, il y eut quelques grands moments : les falaises calcaires du Doubs, les étangs du haut plateau lorrain, les vignes d’Alsace, les perspectives sur les Vosges, le Canal de la Bruche, des portions du Canal des Vosges. Et, omniprésente, la simple et belle campagne de France, ses champs, ses prés et ses bois entremêlés. Et puis plein de petits plaisirs pour les yeux : des fleurs de tournesols, un vol plané de héron, un couple de cygnes, sans oublier les vaches, moutons, chevaux.
La beauté fut aussi architecturale, des rudimentaires maisons éclusières aux merveilleuses maisons alsaciennes, des petites églises de villages aux immenses cathédrales des villes, d’un simple lavoir de campagne au monumental plan incliné d’Arzviller. Et puis ce fut un parcours très fleuri, entre les fleurs sauvages des bords de canaux et celles ornant les fontaines, les ponts, les fenêtres et balcons.
En ce qui concerne la difficulté du parcours, je dois être honnête : j’ai roulé la plupart du temps à plat ! Et, pour les quelques parties plus vallonnées, le dénivelé journalier n’a jamais dépassé 500 mètres. J’ajoute qu’on trouve aussi un certain plaisir à se faire (un peu !) violence parfois lorsque la pente est forte ou l’étape longue.
Quant aux repas, il y en eut de forts bons et/ou copieux. J’ai pu savourer des plats hors de mon commun : salades vosgiennes, tartes flambées, escargots, fritures de carpes, cuisses de grenouilles, jarrets braisés, vol au vent, choucroute. Je n’oublie pas les fromages, Comté et Munster mais aussi cancoillotte. Et l’arrosage : les rouges d’Arbois et les blancs d’Alsace. Et mon carburant : les bières, de préférence artisanales.
Et enfin, il y eut quelques belles rencontres. Celles des amis d’abord : les prometteuses retrouvailles avec Danielle et Jean-Louis à Besançon et les délicieuses soirées avec Françoise à Dole et avec Jean-Paul à Strasbourg. Celles avec des inconnus ensuite avec lesquels j’ai pu engager quelques discussions : pêcheurs, cyclistes, promeneurs, hôtes et propriétaires des chambres d’hôtes. Et ce relatif petit nombre de rencontres m’a laissé suffisamment de temps pour les moments de solitude que j’aime à vivre aussi.
Au total, une aventure riche et variée qui m’aura permis de me ressourcer en parcourant, une nouvelle fois, une région de France que je connaissais peu. Merci à ceux qui m’ont encouragé en précisant que je préfère parler de plaisir plutôt que de courage. Merci à ma famille sarthoise qui a attendu ma visite pendant que je pédalais. Et merci à Marie-Claude et à ma famille réunionnaise de m’avoir laissé préparer et réaliser ce périple.
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